25 martian 2099 @xxHxxQ4. Norfolk, ancien État de Virginie
Il pleuvait à Norfolk à la veille d’une nouvelle tempête qui devait s’abattre tout prochainement sur la côte. La nuit était tombée depuis longtemps et le port était silencieux, comme un monstre qui dort. Zeus pouvait être fier de lui. La pluie qu’il projetait du ciel avec une telle force semblait vouloir laver la Terre de tous les péchés de l’Homme. Elle martelait ainsi de toute sa puissance le pont du Seewalk, un porte-conteneurs de près de 200 pieds, à quai sur le 11.
Le dieu aurait-il été plus attentif qu’il lui serait apparu clairement que quelque chose clochait. Le navire était encore à demi chargé, mais au sol, plusieurs conteneurs gisaient pêle-mêle comme des briques qu’un autre des géants de l’Olympe aurait jetées à terre. Il se serait approché et aurait remarqué qu’au niveau du sol, la pluie battante ne parvenait pas à masquer le vacarme qui y retentissait.
— Gus. Je croyais qu’elles étaient supposées être endormies.
— C’est bien ce que je pensais aussi Alan. C’est quoi ce bordel?
— Georges, Peter, vous allez par la gauche. Nous prenons à droite.
C’était le capitaine Jo qui venait de parler. Lui et ses hommes devaient récupérer la marchandise. Discrètement, lui avait-on demandé. Même s’ils ne risquaient pas grand-chose. Qui oserait s’opposer à l’armée de l’Union? Faites gaffe cependant, avait dit le Colonel qui ne voulait pas avoir d’autres ennuis. Il se rappelait encore le jour où les marins du port avaient été alertés par l’odeur putride des cadavres découverts dans l’un des conteneurs. Malgré la censure, l’histoire avait fait le tour du Quadrant. Elle était encore présente dans de nombreux esprits. Et pourtant c’était il y a 3 mois déjà.
Jo ne voulait pas faire de vague, il voulait faire plaisir à son chef. Et bien, c’était gagné. Ils activèrent la vision panoptique nocturne. Devant eux, au côté de l’un des conteneurs éventrés, ils pouvaient distinguer les formes de celles qui leur opposaient tant de résistance.
Dès qu’ils s’approchaient, un énorme mal de crâne les obligeait à reculer.
Dans le groupe des migrantes qui venaient de débarquer, Lee se démenait pour rassurer celles avec lesquelles elle et Ma Ka, depuis près d’un mois, avaient traversé la moitié de la planète, enfermée dans une boîte de moins de 50 m2. Elles avaient largement eu le temps de se préparer à l’éventualité que leur comité d’accueil ne soit pas bienveillant. Quelques passeurs, cela aurait pu le faire, mais elle n’était pas prête à affronter l’armée de l’Union. Seule la télépathie, cette nouvelle arme que Ma Ka leur avait dévoilée pendant le trajet et qu’elle utilisait pour maintenir les assaillants à distance, pouvait peut-être les sauver.
— Shit. Qu’est-ce qu’on fait Capitaine? Je n’arrive pas à les atteindre à cette distance.
— On va utiliser les grenades incapacitantes. On va voir ce qu’elles penseront de ça. Dès qu’elles auront explosé, vous mettez vos masques et vous foncerez. On les prendra en tenaille.
L’opération fut un succès. Lee se réveilla attachée sur le plateau dur d’une table d’observation. Elle ne put s’empêcher de penser que, définitivement, les hommes n’avaient pas d’imagination. Elle pouvait ressentir l’ensemble de son corps. Elle était cependant incapable d’aller plus loin. La raison était simple, son crâne était enveloppé dans un casque métallique qui empêchait toute connexion extracorporelle. Elle essaya cependant d’atteindre le système du casque, mais n’en découvrit aucun. Un système inerte. Elle ne pouvait rien faire contre cela. Il lui fallait attendre.
Lee entendit un bruit étouffé qui ne semblait pas venir de loin. Elle cria.
— Oum, Ma Ka? C’est vous.
— Lee? répondit une voix qui provenait vraisemblablement de la même salle. C’est Ashikram. On est toutes là. Sauf Ma Ka. On ne l’a pas entendue. On pensait que tu n’étais pas là non plus. Ils nous ont retiré nos colliers, mais on a toutes des casques autour de la tête. Nos puces ne peuvent atteindre le moindre réseau.
— Que s’est-il passé?
— Ils nous ont endormies, je crois. J’ai vu un énorme éclair et un bruit assourdissant qui m’a précipitée à terre. Puis, le brouillard. Nous nous sommes réveillées ici, nues sur ces tables. Que va-t-il nous arriver?
— Ne vous inquiétez pas. Ils ne savent pas qui je suis. Je vous protégerai. Ce qui m’inquiète c’est qu’ils aient Ma Ka.
À ce moment, une porte coulissante s’ouvrait et le bruit de grosses bottes résonna sur ce qui semblait être un sol métallique.
— Pose là ici. On s’occupe de celle-là.
— Aïe, laissez-moi.
— Tu vas la fermer ou on te renvoie au paradis.
Les bruits de bottes s’éloignèrent et la porte se referma.
— Que s’est-il passé?
— Ils ont emmené Baisha, je crois. Elle était à côté de moi.
Bonjour! Je suis si heureuse que vous soyez toutes là.
— Ma Ka? Tu es là.
— Tu peux toujours te connecter à nous? demanda Lee. Ils t’ont aussi mis un casque?
Non, ils ont vérifié que je n’avais pas de puce. D’ailleurs, si j’ai bien compris, ils ont prévu de m’en faire mettre une, mais ils hésitent encore, n’ayant jamais vu quelqu’un qui n’en a jamais porté de sa vie.
— Ils t’ont questionnée? Ils t’ont fait du mal?
Non, rien. Pas pour l’instant. Mais ce ne sont pas des enfants de chœur. Il faut qu’on sorte d’ici.
À chaque fois que la porte s’ouvrait, des bruits de pas ramenait l’une des filles et une autre était enlevée. Celle qui revenait restait immobile pendant plusieurs heures, jusqu’à ce qu’elle se réveille. On leur avait en effet changé la puce.
— C’est un modèle que je ne connais pas. Il semble qu’il y ait beaucoup moins de fonctions. Je n’ai plus de casque et pourtant, je ne peux scanner aucun réseau.
Lee, quand ce sera ton tour, tu devras te dégager avant qu’ils ne changent ta puce. Sinon…
Lee ne put pas répondre. La porte s’ouvrait à nouveau et c’est elle qu’on emmena, l’emportant attachée sur la table.
Elle n’espérait qu’une seule chose, qu’on lui retire le casque et qu’elle puisse se battre à armes égales avec ces ravisseurs. Si elle parvenait à se détacher, elle n’en ferait qu’une bouchée, même affaiblie par les journées entières passées dans le conteneur et la maigre alimentation des semaines qui avait précédé leur arrivée, elle se sentait capable du pire.
Lee n’eut malheureusement pas l’occasion de tester sa force, avant même qu’on ne lui retire le casque, elle sentit un gaz l’envahir. Elle perdit connaissance.
Lee se réveilla quelques heures plus tard. Elle était toujours attachée, mais ne portait plus de casque. Elle scanna le cyberespace autour d’elle sans pouvoir identifier aucun autre système.
Les salauds, ils m’ont endormie pour m’opérer. Je suis foutue. À moins que…
En effectuant un auto-diagnostic, elle fut rassurée du fait que c’était toujours sa puce qu’elle avait dans le crâne. Elle souleva la tête et regarda autour d’elle. Elle était seule désormais, installée dans une petite pièce à l’aspect aseptisé. La salle était faiblement éclairée, mais Lee pouvait clairement en distinguer tous les détails. Sur chaque mur, de grands miroirs renvoyaient son reflet. Elle vérifia dans l’un d’eux, agrandissant l’image perçue, qu’elle n’avait effectivement aucune cicatrice à la tempe.
Alors, qu’ont-ils fait?
– Hello Lee ? You are finally awake ?
Ils connaissent mon nom? Ce n’est pas bon signe.
– Hello. Qui est-ce?
Une des parois murales se modifia et le miroir laissa la place à une vitre transparente. Elle put distinguer trois personnes, en tenue de camouflage, qui l’observaient. Le plus âgé, placé au centre, lui sourit.
— Tu ne me connais pas. Je suis le Colonel Harris. Voici le capitaine Jo Chapman et l’adjudante Kate Estrada. Nous sommes heureux que tu aies choisi de rejoindre l’Iron Union.
— Je… Je n’ai rien choisi. Qu’est-ce que vous racontez?
— Tous ceux qui posent pied sur nos terres sont notre propriété. Tu le sais ça, non? Vous l’apprenez même dans le 1er Quadrant.
— Soit, mais pouvez-vous me dire ce que je fais ici? Sur vos terres, comme vous dites. Je n’avais pas réellement prévu de prendre la température de votre continent. J’avais d’autres plans.
— Il semble que ce n’était pas l’avis des contrebandiers qui ont détourné ton navire. Tu ne te souviens pas de ce qui est arrivé au Maroc?
— Je me souviens simplement que nous approchions des côtes, puis… plus rien. Jusqu’à ce que nous captions les premiers rayons des réseaux du 4e Quadrant.
— Et c’est à ce moment-là que vous avez décidé de tout péter?
— Désolé, mais il faut nous comprendre. Comme je vous l’ai dit, nous n’avions pas l’intention de venir ici. Et d’ailleurs. Où sont passées les autres?
— Elles vont bien, ne t’en fais pas. On s’occupe d’elles.
— Ouais, c’est justement ce qui m’inquiète. Vous ne voudriez pas nous renvoyer sur le prochain navire. On ne vous causera plus d’ennui, comme cela.
— Mmm. Malheureusement, darling, nous avons d’autres plans pour toi. On se revoit bientôt. Fais de beaux rêves.
Lee n’eut pas le temps de répondre. Elle sentit son cerveau fondre vers l’obscurité la plus totale. Ou plutôt, vers une sorte de gris. C’était encore pire.
Ça y est. Me voilà à nouveau réveillée. Je suis encore dans cette pièce. Depuis combien de temps suis-je ici?
Le miroir t’éclipsa à nouveau. De l’autre côté, il n’y avait plus qu’une seule personne.
— Madame Ping, j’aurai besoin de votre aide, fit Kate, l’adjudante.
— Bonjour Kate. Comment voulez-vous que je vous aide? VOUS m’avez attachée à un lit et enfermée dans une cellule d’isolement blindée.
— Désolée, Madame Ping. Mais nous sommes obligés de nous protéger de vos pouvoirs. Il paraît que vous êtes extrêmement dangereuse. J’ai moi-même vu les radios, c’est impressionnant.
— Les radios? Ah, je vois. Vous avez remarqué que j’ai quelques améliorations à mon squelette!
— Oui. Nous n’avons jamais vu cela. Et mes chefs ont flippés grave quant ils ont analysé les rapports. Il paraît que vous pouvez porter un conteneur à vous seule.
— Je ne sais pas, je n’ai jamais eu le plaisir de soulever des conteneurs. Mais, vous pouvez le leur dire, au Colonel Machin. Ce n’est pas de moi qu’il doit avoir peur.
— Justement, c’est pour cela que nous avons besoin de votre aide. Vous étiez à peine arrivées, vous et les autres filles, que l’Union a été attaquée.
— Attaquée? Que voulez-vous dire?
— Nous ne sommes pas certains. Il semble que ce soit une attaque sur nos réseaux. Elle provient des satellites relais. Savez-vous s’il y a des hackers dans le premier Quadrant?
— Des hackers. Bien sûr. Mais, le paradis des hackers, ce n’est pas Zhõng. C’est Brahma. Je n’y ai passé que quelques jours et pourtant je n’en avais jamais croisé autant. Il semble que ce soit un sport national, là-bas.
— Ah. Mes chefs m’ont dit que l’attaque venait de Zhõng…
— Hmm. Alors ce n’est pas des hackers dont vous devez avoir peur. C’est d’Elle.
— Qui ça?
— L’Intelligence-mère, celle qui contrôle tout le premier Quadrant et, semble-t-il maintenant, aussi le Deuxième.
— Oui. C’est ce qu’ils disent aussi. Alors, vous voulez bien nous aider à nous débarrasser d’Elle?
— Ça dépend. Qu’est-ce que j’y gagne?
— Il vous faudra parler au Colonel. C’est lui qui pourra vous le dire.
Le brouillard, à nouveau…